#161 - The cozy web
I.
J’ai adoré l’explication de ce schéma que j’ai bienheureusement collectivisé parce qu’il confirme mon ressenti: le web en général est devenu plus violent. Pour s’en prémunir, les internautes se retirent dans des espaces préservés (Whatsapp, Telegram ou encore Discord) ou the cozy web. Ce sont des lieux underground où les prédateurs (marketers, bots, hackers, stalkers, haters, catfish) n’ont pas accès.
Après quelques recherches, il semble que cette théorie date un peu (2019). La lecture en mérite la peine parce qu’elle donne à réfléchir sur ce que le web est devenu.
Imagine a dark forest at night. It’s deathly quiet. Nothing moves. Nothing stirs. This could lead one to assume that the forest is devoid of life. But of course, it’s not. The dark forest is full of life. It’s quiet because night is when the predators come out. To survive, the animals stay silent.
…
This is also what the internet is becoming: a dark forest.
In response to the ads, the tracking, the trolling, the hype, and other predatory behaviors, we’re retreating to our dark forests of the internet, and away from the mainstream.
Et alors que l’IA est sur le point d’inonder l’espace cybernétique, quel effet cela aura-t-il sur cette théorie?
Well, selon cet article, cela ne fera que renforcer le problème.
There's a swirl of optimism around how these models will save us from a suite of boring busywork: writing formal emails, internal memos, technical documentation, marketing copy, product announcement, advertisements, cover letters, and even negotiating with medical insurance companies.
But we'll also need to reckon with the trade-offs of making insta-paragraphs and 1-click cover images. These new models are poised to flood the web with generic, generated content.
You thought the first page of Google was bunk before? You haven't seen Google where SEO optimizer bros pump out billions of perfectly coherent but predictably dull informational articles for every longtail keyword combination under the sun.
Marketers, influencers, and growth hackers will set up OpenAI → Zapier pipelines that auto-publish a relentless and impossibly banal stream of LinkedIn #MotivationMonday posts, “engaging” tweet 🧵 threads, Facebook outrage monologues, and corporate blog posts.
It goes beyond text too: video essays on YouTube, TikTok clips, podcasts, slide decks, and Instagram stories can all be generated by patchworking together ML systems. And then regurgitated for each medium.
We're about to drown in a sea of pedestrian takes. An explosion of noise that will drown out any signal. Goodbye to finding original human insights or authentic connections under that pile of cruft.
Pretty concerning stuff.
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Cette théorie résonne en moi particulièrement parce que depuis quelques mois, j’ai commencé à me dire: Retire toi du web, become a ghost… ce qui s’est manifesté par la destruction de mes comptes de réseaux sociaux, non seulement parce qu’ils avaient trop de pouvoir sur moi, mais aussi parce que l’ambiance avait changé. Je l’ai fait sur la base d’un hunch, sans vraiment avoir une vision claire de ce qui avait changé en moi.
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II.
C’est en 1993 que j’ai découvert le web. Ma mère qui travaillait aux PTT était rentrée du travail un mercredi midi et voulait absolument me montrer quelque chose. J’avais cette attitude de pré-adolescent peu impressionné… Après quelques manipulations, elle lança une connexion grâce à notre modem 14k qui se distinguait par son grésillement distinctif. Elle ouvrit un navigateur, était-ce Netscape ou Internet Explorer, je serais bien en mal de le dire, mais je pencherai plutôt pour Netscape parce qu’Internet Explorer avait du retard à l’époque, puis elle fit quelques manipulations dont je ne me rappelle pas, sans doute la saisie d’une URL dans la barre d’adresse pour atteindre le site du FBI. Pas n’importe quelle page, celle des Most Wanted. Il faut se rappeler ce qu’était l’expérience web à l’époque. Quand on chargeait des pages qui contenaient des images, elles s’affichaient lentement - très lentement - de haut en bas comme le visage de Mitterrand lors de son élection de 1981.
On découvrait petit à petit les visages de ces criminels dont les images ne brillaient pas leur qualité. Je ne suis pas sûr qu’une notice expliquait ce qu’on leur reprochait, mon regard se concentrait sur ces images qui se révélaient lentement. A l’époque, notre univers mental était dominé par la télévision suisse et française. Un peu de radio quand on se réveillait le matin et quelques séries américaines diffusées sur les chaines de notre voisin français ce qui faisait que nous connaissions l’existence du FBI. Au delà de ça, les US nous paraissaient encore très lointains. Voir donc la liste des personnes les plus recherchées relevait du miracle. Il n’en fallait pas plus à l’enfant que j’étais pour être happé. Depuis ce jour, je n’ai cessé de m’intéresser au cyber espace.
Découverte des moteurs de recherche, forums, chats, jeux en ligne, bricolage pour monter un site de clan (c’est ainsi qu’on appelait les équipes), ouverture d’une multitudes de blogs, MSN messenger, incessantes prises de tête pour trouver le meilleur pseudo, ICQ… puis formations, iPhone, réseaux sociaux, MEMEs etc… je n’ai manqué aucune des grandes étapes, ai toujours eu une curiosité naturelle pour les nouveautés et parfois, il faut bien le dire, manqué d’un regard critique sur tout cet environnement.
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III.
Pendant ces 28 ans, si vous m’aviez demandé si je pensais que le web pouvait disparaître, j’aurais fait un gros soupir, agacé que vous passiez à côté de l’intérêt du web parce qu’il y a non seulement une richesse d’informations, mais aussi une créativité et un dynamisme que je n’ai vu nulle par ailleurs. Aujourd’hui pourtant, depuis quelques jours, la question a fait son nid dans mon esprit. Je commence à me demander si tout ça à un avenir.
Cette théorie que j’ai évoquée en début de newsletter tape là où ça fait mal. On sait désormais que lorsqu’on surfe sur le web, nous devons être plus prudents. Prudents à ce que nous y lisons parce que les fake news pullulent. Prudents aux liens sur lesquels on clique parce que les phishings sont quotidiens. Prudents à notre usage parce que notre attention - et plus largement notre santé mentale - est sapée par les réseaux. Prudents aux informations qu’on met en ligne parce qu’elles peuvent être à tout moment piratées. Prudents aux rencontres que nous y faisons parce qu’il peut s’agir de catfish. Prudents avec nos passwords, parce qu’ils peuvent être mis en vente sur le dark web. Je m’arrête là.
On pourrait croire naïvement que ces problèmes se cantonnent au web, mais je crois au contraire qu’ils transpirent dans la vraie vie. Les gens pètent les plombs à la moindre contrariété, n’ayant plus le réservoir de patience nécessaire, parce que nous avons été conditionnés à tout avoir tout de suite. Notre anxiété a skyroketé à des niveaux inégalés, les burnouts explosent, bref….
Même en faisant très attention à nos usages, nous sommes toujours un peu en ligne. La déconnexion ne s’effectue jamais immédiatement, il y a une inertie. Je suis toujours frappé de cela en vacances ou pendant les week-ends. Même en m’éloignant des écrans, mon esprit y est rattaché comme par magie, comme une espèce de jet lag qui peut durer. Lâcher prise devient quasiment impossible. Ce n’est qu’en faisant un peu de sport intense, sur une assez longue durée qu’on y parvient, en étant davantage dans son corps, et beaucoup moins dans sa tête qu’on redécouvre la douceur de la vie.
Lorsque j’ai déménagé dans mon ancien appartement, j’étais content parce que j’avais un logement au centre de Genève pour un prix inférieur au marché. Seul bémol, il fallait que je porte mon vélo sur 4 étages parce qu’il n’y avait pas de garage à vélo. Et puis, avec les années, d’autres inconvénients se sont accumulés. J’ai commencé à sentir les vibrations du tram. Mon voisin du dessus, après 5 années de calme, a commencé à faire un bruit de dingue. Puis, c’est ma voisine d’à côté qui s’y est mise. Petit à petit, ce qui était un logement presque parfait est devenu un appartement infernal. Et donc, ma logique s’est inversée.
A part le loyer modéré, y avait-il encore une bonne raison de rester? La réponse fut clairement non. Je suis parti.
Je crains que cette logique se réplique à large échelle pour le web. Parce que nous ne pouvons tout simplement pas être en permanence hyper vigilants à ce que nous faisons en ligne.
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IV.
Il y a pourtant des tentatives pour s’extraire de ce schéma. Dans une édition précédente de ma newsletter, je vous parlais du succès de Youtube parce qu’on y trouve des contenus plus lents en prenant l’exemple d’une Coréenne qui nous partageait sa passion pour la cuisine. Ce type de contenu est cozy1. Nous y allons plus volontiers parce qu’il s’en dégage une espèce de sentiment feel good rassurant. Si Substack connaît un aussi vif succès, c’est parce que là aussi, on y trouve plus d’empathie dans les contenus que nous y trouvons.
J’avais évoqué la substance comme recette clé, ce sentiment qu’on consacre son temps intelligemment, en retirant quelque chose, de la substance dans une logique de higher level of engagement, comprenez une sorte d’artisanat du web. Mais ce n’est pas suffisant pour explique ce succès, ces contenus fonctionnent parce qu’ils sont aussi cozy. On s’emmitoufle dans notre plaid, le laptop sur les genoux, une thé dans la main en se laissant bercer. Rien ne peut nous atteindre, alors que le temps se dilate et le monde se fait un peu oublier. Juste un tout petit peu. Telle une respiration dans notre monde en apnée.
Cette vision là n’est pas mainstream. Elle est même au contraire plutôt marginale. Il ne tient qu’à nous de l’entretenir, un tout petit peu, pour qu’elle subsiste et ne se fasse pas engloutir entièrement par les prédateurs. La préserver est essentielle pour maintenir un temps soit peu cette idée originale d’un web ouvert. Pour ce faire, conservons nos espaces à nous, polissons des contenus crées avec amour et faisons la promotion des artisans du web lorsque nous aimons leur création. C’est ainsi, loin des spotlights, par le bouche à oreille que ce web là peut trouver sa place et préserver une autre idée du web.
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Wrapping up
💌 Une version en ligne de mes billets se trouve sur mon blog.
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Love ❤️,
-E
et ce même si Youtube pompe nos données sans état d’âme. Ici, par cozy, il faut entendre, contenu plus lent.