#155 - Youtube is the winner
J’ai découvert Doobydobap récemment dans une newsletter que je suis. Cette chaine Youtube n’a rien d’extraordinaire et pourtant, elle a quelque chose qui fonctionne. On y suit une jeune Coréenne dans des vidéos de type vlogs où on la voit tantôt cuisiner, tantôt tester et/ou raconter les spécialités de la cuisine coréenne à une audience internationale qui ne connaît pas forcément très bien cette gastronomie au delà du fameux (est-ce vraiment fameux?!) Korean BBQ. Les vidéos font rarement moins de 10 minutes et adoptent un rythme plutôt lent, à rebours de TikTok.
Ces vidéos ne font pas l’apologie d’un certain lifestyle, ni ont un parti pris vegan, healthy ou autre... Pas non plus de contenus de type influencers où on nous vend des produits. L’approche est assez authentique avec comme objectif l’envie de partager à son audience la gastronomie coréenne et son amour pour la cuisine en général. Des débuts en 2021 où on la voit un peu paumée, elle évolue pour monter un projet de restaurant qui peine à aboutir (en tout cas aux dernières nouvelles).
Ce modèle semble se multiplier et confirmer une tendance dont j’ai déjà parlé (chapitre Les cordonniers sont les plus mal chaussés): Youtube est en train de remporter la mise parce que les contenus qui s’y trouvent sont plus longs et lents. Il s’inscrit dans un mouvement plus large d’abandon du clickbait-fastfood-content.
Dans un récent post (à lire de toute urgence), un internaute fait une analyse à laquelle je souscris totalement: pour réussir sur le web, il faut désormais de la substance (faisant écho à l’édito d’Alexis Favre dont je parlais il y a quelque temps). Spammer l’audience avec des petits contenus is a losing strategy.
Pour étayer sa théorie, il cite quelques chiffres:
On Facebook, the average engagement rate—the number of likes, comments, and shares per follower—fell by 34%, from 0.086 to 0.057….But the same pattern is everywhere. Engagement fell 28% on Instagram and 15% on Twitter. (It’s kept falling since.) Even on TikTok, the terrifying brainhole of tomorrow, the walls are closing in. Until 2020, the average daily time spent on the app kept rising in line with its growing user base; since then the number of users has kept growing, but the thing is capturing less and less of their lives.
Ces nouveaux usages ne sont pas qu’une affaire de stats, mais aussi et surtout de ressentis. Sur les grandes anciennes plateformes, nos usages quotidiens sont sans cesse pollués par des bots. Ma messagerie Facebook ne ressemble plus à rien tant j’ai reçu des messages à caractère sexuel venant de bots. Sur Twitter, quand j’avais toujours un compte, j’étais spammé par l’univers des cryptos. Instagram, pas mieux…
Au delà, des mentions, de nombreux comptes sont automatisés et flood les discours en ligne. A tel point que l’affaire a nourri une théorie conspirationniste: Internet aurait cessé d’exister depuis 2016 - 2017. Cette théorie suggère qu’Internet aurait été conquis par l’IA et que la majorité du web est désormais fake. Elle (cette théorie) date d’avant ChatGPT, d’un thread du 5 janvier 2021. C’est évidemment faux, mais ça appuie là où ça fait mal, car oui, une partie du web désormais n’est plus très humaine… ça se sent et ça péjore l’expérience du web au quotidien en augmentant notre défiance. Est-ce que le contenu que je vois actuellement est bien réel? Depuis l’image du Pape en mode Balenciaga, la problématique est devenue d’autant plus aiguë.
Dans ce contexte donc, des contenus étoffés, plus longs, provenant de personnes identifiées - les anglo-saxons parlent d’higher level of engagement - peuvent attirer une audience parce que plus humains. On sent qu’il y a eu du travail derrière et dès lors, on prend le temps de lire ou de regarder, comme une forme de respect pour l’auteur. En tout cas, c’est une réflexion que je me fais souvent désormais mais qui a certes un corollaire: il faut choisir avec soin ses sources parce que forcément, ces contenus étant plus substantiels, il nous faut dégager plus de temps.
***
Oui mais…
Je reste néanmoins prudent. Comme lorsque j’ai évoqué l’édito d’Alexis Favre il y a quelques semaines, il ne faut pas sous-estimer les forces de ce modèle clickbait-fastfood-content. Cette dualité slow vs fast infuse toute la société. On n’a pas toujours le temps pour se poser à un restaurant et rester à table pendant 2h. Ni d’aller au cinéma pour voir un film. De la même manière, l’industrie tech, TikTok en tête, suivi de sa cohorte de copycats, misent gros sur ces petits contenus. Tout le monde suit le modèle en allant toujours plus loin, en privilégiant la gratification immédiate. On baigne dans l’immédiateté, il est difficile de s’en extirper. C’est donc qu’il y a un marché.
Je suis prudent aussi parce qu’on continue à me dire en 2023, qu’il faudrait ouvrir un compte Insta pour ceci ou cela. Allo???? Insta est dead! Ce type de demandes est la preuve que le grand public n’a pas encore réalisé ce changement de consommation et qu’il lui faudra peut-être plusieurs années pour y parvenir. Le fast-food content a donc vraisemblablement de beaux jours devant lui encore.
Pour l’auteur de l’article cité plus haut, cette industrie serait coincée dans un business model qui les force à pusher ce type de contenus rapides et ultra-consommables sans grande préoccupation pour les users, parce que seuls les dollars comptent de leur point de vue. Dans l’exemple de Substack (qui propose des textes longs), le modèle économique n’est pas assuré. Ils ont récemment échoué à lever des fonds ce qui les a poussé à se tourner vers leurs utilisateurs. Chacun-e peut désormais détenir une partie de l’entreprise. Si cette ouverture semble intéressante, elle révèle que le modèle économique de l’entreprise n’a pas convaincu les investisseurs. Mauvais signe donc.
Au-delà de ces considérations économiques, ce pivot vers des contenus plus longs et substantiels traduit aussi notre incapacité à trier le flot continu des contenus qui nous assaillent. Pour ce faire, on élève alors la qualité pour écrémer le volume. Seuls ceux qui seront capables de le faire - ce qui nécessitera patience et moyens - pourront participer à ce nouveau modèle. Une forme d’artisanat en quelque sorte qui a certes un espace mais vient en complément d’une forme plus industrielle de création de contenus.
Pour revenir à cette youtubeuse dont je parlais en début de lettre, elle s’inscrit dans ce modèle artisanal, parce qu’il y a énormément de taf derrière ces vidéos qui semblent pourtant légères (et elles le sont dans le style). Parce que pour produire des vidéos aussi réussies - la chaîne compte pas moins de 3 mio d’abonné-e-s - un travail conséquent de conception, tournage, éditing et montage est assuré en amont. En tant que spectateur, on ne le ressent pas un instant, mais le professionnel de la com que je suis ne s’y trompe pas.
***
En ce qui me concerne, j’ai fait le choix de ces contenus plus substantiels en quittant Instagram l’an passé. Puis Twitter. Ce n’a pas été un choix conscient, mais une fatigue pour des contenus qui semblaient n’être qu’une énième déclinaison de ce que j’avais déjà vu tant de fois. Au final, c’est bel et bien la fatigue qui en a été le moteur, mais nous n’en sommes pas tous au même stade d’épuisement. En tant que community manager, il est logique de l’avoir atteint avant les autres - on bouffe du web toute la journée… Et c’est donc pour ça que je reste prudent quant à ce réel changement de consommation.
—
Wrapping up
💌 Une version en ligne de mes billets se trouve sur mon blog.
—
Love ❤️,
-E