#17 - Red Bananas
“Des bananes rouges?” répétais-je pour m’assurer d’avoir bien compris. J’ignorais que le fruit pouvait se décliner en rouge et comme mon interlocuteur insistait, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas là d’un “faux” fruit percevant (à tort) un trouble dans la voix de mon hôte. C’était le 1er décembre, je venais d’arriver à mon hôtel et je voulais manger quelque chose avant d’aller rejoindre les bras de Morphée. Nous vivions 5h du matin.
Quelques minutes plus tard, un membre du personnel m’apportait une assiette avec deux bananes rouges. Je les ai dégustées avec un plaisir non dissimulé.
Je déteste arriver dans un pays inconnu au milieu de la nuit, mais pour aller en Inde depuis l’Europe, c’est manifestement chose commune. Mes vols se sont dans l’ensemble bien déroulés, même si je crois que je déteste voler. Pour une raison que j’ignore Etihad m’a prévu deux vols à l’aller, trois au retour. Je n’ai pas trop réfléchi, j’avais dû changer de compagnie à la dernière minute, Emirates me réservant une mauvaise surprise en changeant mes vols pour me concocter, tenez-vous bien, une escale de 21h (!!!) à Dubai. Inacceptable. Je perdais non seulement un jour de vacances, mais surtout, qu’allais-je faire pendant 21h là-bas, y étant déjà allé… Donc je me suis reporté sur Etihad qui dans l’ensemble m’a offert un service comparable même si je dois dire que le niveau est légèrement inférieur à Emirates. Les repas ne sont pas exceptionnels et les appareils légèrement plus petits renforçant l’impression de promiscuité que je déteste en volant. Bonne surprise en revanche, il est possible de faire des enchères pour les classes business juste avant de décoller. Si vous gagnez les enchères, vous êtes upgradés. Je l’ai fait sur un vol et ai pu profiter des sièges Business. C’est une toute autre expérience de voyage…
Je déteste donc arriver de nuit dans un nouveau pays parce que cela m’empêche de me faire une première idée du lieu. A peine sorti de l’aéroport, une pluie tropicale m’accueillit, mais impossible de voir les rues, la végétation, les publicités, etc. Il me fallut attendre plusieurs jours avant d’avoir une image plus précise, quoique partielle, parce qu’à l’intérieur de mon hôtel, je vis dans un cocon.
Ces vacances se placent donc sous le signe du repos. Je fais une retraite Ayurveda dans le Kerala, proche de la ville de Trivandrum, dans un complexe appelé Somatheeram.
J’ai loué un petit bungalow avec vue sur la mer et chaque jour un traitement de deux heures m’attendait avec des masseurs et médecins ayurvédiques. Je ne savais pas à quoi m’attendre, j’en avais juste entendu le plus grand bien.
Le premier jour, en début d’après-midi, les médecins vous attendent avec un questionnaire à remplir. Il permet de déterminer votre profil. En effet, en médecine ayurvédique, chaque personne a un dosha dominant: kapha, vatha ou pitha. Ce que j’ignorais, c’est que l’on peut être aussi une combinaison de deux doshas. Le diagnostique tombe assez vite, je suis Vatha - Kapha, avec une “imbalance in Pitha”. Les jours qui suivent consistent à rééquilibrer vos doshas.
ROUTINE
A partir de là, vos vacances suivent une routine similaire, faites de traitements, de temps libre, de repas, de rencontres et de points Internet.
Les traitements
Chaque jour, vous avez rendez-vous avec les médecins qui vous écoutent pour fixer l’évolution de vos traitements. Il s’agit de petits entretiens de 5 à 10 minutes pendant lesquels ils vous posent systématiquement les mêmes questions:
Good sleep?
Toilet?
Si les deux conditions sont remplies, alors vous êtes sur la bonne voie.
Puis votre masseur vous récupère pour procéder aux soins du jour selon les indications des médecins. Pour résumer, les 5 à 6 premiers jours, ils font sortir toutes les toxines, soucis et autres peines contenues en vous (détox) puis, les jours suivants vous reconstruisent (rejuvenation) sur cette base. Les débuts peuvent donc être un peu plus durs, surtout qu’il faut s’adapter au climat, au décalage horaire, etc.
Et ils l’ont été pour moi.
A mon troisième jour, j’ai reçu un soin appelé Shirodhara. Le traitement consiste à faire couler un filet de liquide chaud (ici du lait) sur votre front et d’y appliquer un mouvement de balancier de gauche à droite au-dessus de vos sourcils pendant plusieurs minutes. Ce troisième jour, je suis sorti de mon soin à fleur de peau. Je suis rentré dans ma chambre et ai commencé à pleurer sans comprendre ce qui m’arrivait. Je me suis recomposé pour aller manger, avec les larmes au yeux et les lèvres tremblotantes, avant de m’effondrer à nouveau pendant 10 minutes dans ma chambre. Je n’ai rien compris, mais ils m’ont bel et bien mis par terre. Quelques jours plus tard, une dame avec qui j’échangeais de temps en temps a dû annuler une sortie qu’elle avait prévue l’après-midi suite à ce même traitement.
A mon 5e jour, je devais normalement prendre une purge (laxatif) pour compléter ma détox. Ils appellent cela “purgation day”, chacun y passe… Manque de chance pour moi (ou pas), la fièvre s’est emparée de moi, j’ai dû rester un jour entier au lit. Les médecins m’ont dit que ça arrivait chez certains patients.
La détox n’a donc pas été un long fleuve tranquille. Il semblerait que plus ces cures sont faites jeunes, plus elles sont efficaces…
Puis, à partir de là, il vous reconstruisent. Les soins deviennent plus doux et vous sentez tous les jours un peu mieux.
Les soins
Les hommes sont systématiquement pris en charge par des hommes, les femmes, par des femmes. Vous êtres complètement nu pendant tout le traitement. La plupart du temps, votre thérapeute moustachu est accompagné d’un assistant, ils sont souvent deux pour s’occuper de vous.
Les soins de votre masseur peuvent prendre plusieurs formes, mais à la base, il y a toujours de l’huile. Mon corps n’a jamais été autant huilé de toute sa vie. Ils alternent:
massages vigoureux,
“bains” à l’huile, buttermilk ou eau herbale (ils versent sur vous du liquide chaud sur tout votre corps),
tapotements de votre corps avec de petits coussins chauds contenant un mélange d’herbes et d’épices,
application d’une pâte argileuse sur le corps pour faire sortir les toxines,
etc.
Ils durent environ deux heures. Vous en sortez en général sur un petit nuage, qu’une infusion vient conclure.
J’ai eu la chance d’avoir mes traitements à 10h du matin. A midi, j’avais donc fini ce qui me permettait de profiter du reste de la journée.
Rituel
Quand nous finissions nos séances, mon thérapeute avait toujours les mêmes tics. Il sortait un peigne qu’il conserve dans sa poche et le passait dans ses cheveux qui pourtant étaient impeccablement coiffés. Ils les gardent courts, presqu’en brosse, coiffés en arrière. Puis, il se munissait d’un mini-spray pour asperger ses mains. Anti-bactériens ou anti-moustiques? Je penche pour la première solution. Ainsi se concluait nos séances, des gestes dont on sentait qu’ils soulignaient pour lui, presqu’inconsciemment, la satisfaction du travail bien fait.
Au cours de ces 14 jours, j’ai pu observer les mouvements répétés des ces professionnels. Les mêmes gestes qu’on regarde avec admiration, tant nos métiers en sont dépourvus. La préparation de sa tenue, la petite prière d’introduction, l’entretien de la table de massage, systématiquement lavée, pleins de petits détails qui s’ajoutent les uns aux autres et donnent une dimension presqu’artistique à cette activité.
La diète
J’enchainais généralement par le lunch. Le restaurant consiste en une grande salle ouverte avec buffet à volonté. Crudité et plats chauds se succèdent avec pour chaque met, le titre qui ne nous est d’aucune utilité (encore que, au bout d’un moment, on comprend que pulao = riz, dahl = sauce à riz, etc.) et surtout le dosha priviliégé pour le plat en question. Du fait de mon déséquilibre en pitha, il me fallait manger pitha.
Le carnivore et le gourmand devant l’éternel que je suis a dû composer avec des plats qui sortent de ses habitudes. Plus de viande (ou à de très rares occasions), plus de sucre, plus de caféine. Les premiers jours ont été rudes, pas tant en termes de frustration, mais en termes de migraines provoquées par le manque. En particulier de la caféine.
Pour les vegans ou végétariens en revanche, c’est le paradis.
J’ai découvert quelques spécialités dont j’ignorais tout:
Les bananes rouges, j’en parlais,
La soupe de riz, pas excessivement bonne mais incroyablement digeste,
Le chutney au gingembre,
Les dahls.
Du côté des desserts, ça tourne souvent autour des fruits frais (excellents au demeurant) et des dates, bananes, déclinés selon diverses recettes. Mention spéciale pour les beignets de bananes…
En suivant cette diète, j’ai observé de réelles améliorations de mon état général. Le régime accompagne le traitement en parallèle pour apporter tous les bénéfices. On ne se sent jamais lourd et je n’ai pas eu un seul pépin de digestion malgré tout ce qu’on peut lire sur l’Inde et que je redoutais un peu. NB: j’ai plutôt évité les aliments crûs.
J’ai également perdu 3 kilos au passage.
Les rencontres
Je crois que je n’ai jamais fait autant de rencontres depuis que je voyage seul. Très vite, les résidents forment une petite famille emprunte de beaucoup de bienveillance. Tout le monde est ici avec l’envie de se reposer et je n’ai pas observé à une seule seconde des énervements ou haussements de ton. C’est sans conteste la plus grande surprise de ce séjour.
Les résidents viennent des quatre coins du monde, avec néanmoins une majorité d’Européens. J’y ai vu des Français, des Suisses, des Italiens, des Américains (Arizona, Vermont), des Australiens, une Tunisienne, etc. Les âges sont assez mixtes, mais il n’y a pas d’enfants, beaucoup de couples, également des personnes seules. Plutôt des quadras et quinquas mais il y avait aussi des personnes plus jeunes. Population plutôt féminine, même si nous ne devions pas être loin de la parité.
A force de se croiser, on finit par discuter, mais j’ai remarqué que pour qu’elles se réalisent, il fallait garder le même rythme pour favoriser les échanges.
Près de la plage, il y a un petit café tenu par l’hôtel et un vieux employé assez peu loquace qui chaque jour accueille les résidents pour le chai. Le lieu donne sur la plage et forme un point de rencontre privilégié, surtout à l’approche du coucher de soleil. On y discute de manière très relax soit au retour de la plage, soit parce qu’on attend la tombée de la nuit. Et c’est incroyablement efficace. J’ai discuté avec bon nombre de personnes présentes.
La réception est l’autre coin privilégié, car c’est le seul endroit doté d’un accès WIFI. Chaque soir, avant le repas, les résidents viennent pour garder un contact avec le monde extérieur, mais c’est aussi un lieu de rencontre, certes un peu moins efficace que le café, mais où s’échangent les dernières nouvelles. Ici, en l’occurrence, les grèves et les Français qui se demandent comment ils vont pouvoir rentrer…
La plage
On m’avait prévenu que la baignade en Inde ne vendait pas du rêve. J’en ai eu la confirmation à plusieurs titres. D’abord parce que l’eau et le sable sont remplis de plastiques. Problème qui d’ailleurs s’étend aussi à l’intérieur des terres, la saleté et les détritus sont omniprésents et choquent. Ensuite parce que lorsqu’on se promène un peu plus loin du coin prévu aux touristes, on s’aperçoit que les locaux font leurs besoins dans la mer et ne se cachent pas. A quelques centaines de mètres seulement du spot où tout le monde se baigne. Pas très glam on va dire mais ça ne nous a pas empêché de profiter des rouleaux.
Déconnexion
Quand on s’éloigne des écrans, contraints par les règles de l’hôtel, on dégage un temps faramineux. Avant de partir, on m’avait recommandé la lecture d’un livre épique sur l’Inde, Shantaram dont j’ai déjà évoqué le titre précédemment. C’est un immense pavé de 1000 pages que j’ai littéralement dévoré. Il relate le parcours d’un Australien parvenu à s’évader de prison pour vivre clandestinement en Inde. Là bas, sa vie tourne à l’aventure incroyable. A bien des égards, le récit ressemble à Papillon pour ceux qui connaissent cet autre classique. De retour à Genève, j’ai naturellement commandé la suite, un autre pavé de 1000 pages…
Alors donc, même si le lobby était équipé du WIFI, j’ai plutôt bien résisté à l’appel du web. Les écrans brillent par leur absence. Pas de télé, il n’y a que l’équipement que vous prenez avec vous. J’avais fait l’exercice de ne partir qu’avec mon smartphone, sans télécharger de séries Netflix en prévision. Et dieu que ça fait du bien. je crois qu’on ne réalise pas bien à quel point nos quotidiens sont dominés par les écrans et ce que ça implique sur notre bien-être. Du coup, j’ai vraiment eu la sensation de me reposer (ce qui confirme ma théorie) mais aussi requestionne mes usages: dois-je aller encore plus loin dans mon rééquilibrage analogue/digital. Un article récent parle de jeûne de dopamine de 1h à 4h chaque jour pour se ménager. D’autres coupent automatiquement leur routeur quand ils vont se coucher et ne le rallument qu’à partir de midi pour éviter les rechutes dès le réveil. Tout cela me confirme que nous avons du mal à conserver la bonne distance avec tous ses appareils et mon petit doigt me dit que ce sera l’un des grands sujets de cette prochaine décennie.
En Inde, j’ai aussi réalisé que Whatsapp n’était pas qu’une application de messagerie mais un véritable réseau social. Vous voulez partager une photo avec une amie? Vous le faites par whatsapp et non pas par email. Vous voulez garder contact avec une personne? Vous échangez vos numéros. La simplicité en fait toute la force, quelque soit l’origine des personnes en question. Whatsapp est incroyablement plus mainstream que tous les autres réseaux sociaux.
LES COUPS DE COEUR
La nourriture indienne est excellente. Leur riz en particulier, est inégalable. J’ai eu la chance un soir d’avoir un poulet curry, c’était à tomber par terre.
Le sourire des Indiens est irrésistible.
Le mouvement de tête très spécifique des Indiens pour exprimer leur accord.
L’approche holistique Ayurveda. L’idée n’est pas d’intervenir après qu’un maladie se manifeste, mais à prévenir les maux en amont en prenant soin de son corps et esprit.
Les palmiers. C’est fou comme cet arbre symbolise autant les vacances et vous font voyager.
La business class, c’est quand même cool.
Le soleil en décembre.
J’AI MOINS AIME
La pollution est à la fois consternante et inquiétante. On voit mal comment on peut nettoyer l’océan, les rues et les plages tellement l’effort semble titanesque. Et quand bien même on le ferait, on en trouverait à nouveau le lendemain, par exemple sur les plages… Je n’ai pas eu l’occasion de voyager à l’intérieur du pays, mais si la situation est généralisée sur tout le territoire… mon dieu…
L’effet cocon du complexe hôtelier. A l’intérieur, on est très protégé, au calme et bichonné par le personnel. Une fois qu’on sort, on découvre une réalité assez différente qui peut être rude si l’on n’est pas préparé. Le décalage est assez frappant.
Love,
-E