#42 - Social media first
Au tournant des années 2010, tous les sites internet ont dû intégrer une version bis pour rendre la navigation sur mobile plus conviviale. C’est que consulter un site depuis un grand écran de bureau ne convenait pas sur petit écran de Natel. Trop souvent, cette version bis a été considérée comme une roue supplémentaire au carrosse, pas comme le moyen d’entrée privilégié.
Au fil des années, l’utilisation mobile (y compris les tablettes) est devenue plus intense au point qu’elle dépassa la navigation issue d’ordinateurs fixes. Est donc née l’idée (logique!) que les sites web devaient désormais être pensés pour être consultés en priorité par un smartphone, ensuite, éventuellement par un ordinateur fixe. On parle de stratégie mobile first. La balance penche désormais en faveur de l’équipement mobile dans les choix technologiques qui sont faits.
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De leur côté, les campagnes de communication suivent un schéma conventionnel. On pense affiches, flyers, déclinaison digitale de ces productions et enfin, voire peut-être, des contenus pour les réseaux sociaux, pas toujours optimisés, quand il reste un semblant de budget. Les réseaux sociaux viennent toujours à la fin, comme s’ils étaient les moins importants, traités avec les moyens qui restent et selon ce qui a été décidé pour les autres supports, dont les contraintes répondent à des besoins différents.
C’est à mon sens une erreur classique de nos jours. Il faudrait inverser ce schéma, penser une campagne d’abord pour être diffusée sur les réseaux sociaux (ciblée pour le public qui y est le plus actif), la rendre optimisée pour le partage et le mobile, la décliner ensuite sur les autres supports si ça s’avère judicieux. Cette inversion n’a pas encore eu lieu, comme nous avons pu l’observer pour le mobile (en tout cas en Suisse).
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Social Media Key Metrics
“le retour sur investissement n’est pas mesurable”, voilà en quelques mots la critique principale qu’on entend lorsqu’on parle de réseaux sociaux. On investit des sommes et des ressources mais ne pouvons en mesurer les bénéfices. C’est vrai et, j’irai même plus loin, c’est logique.
Si je vous demandais de donner une valeur à vos relations, combien donneriez-vous à votre meilleur ami, à cette connaissance ou à ce collègue? 1 million, 1 millard, 10’000 CHF? La monétisation d’une relation est impossible.
Pourtant, ces relations sont essentielles, parce qu’elles créent un terrain favorable lorsque que l’on veut vendre un produit ou faire accepter une décision. On crée un climat qui favorisera ou facilitera les prochains étapes. On peut avoir l’idée du siècle, mais si personne ne nous suit, personne ne nous entendra, alors qu’avec ce travail relationnel au quotidien, le terrain est préparé. Mais cela évidemment ne se mesure pas.
Derrière tout cela, il y a l’idée de ressenti inconscient que l’on a envers une marque. Par exemple, Patagonia, on sait qu’ils sont très actifs dans le développement durable. RyanAir en revanche, on en entend souvent parler pour leurs conditions d’emploi déplorables. Ce resesnti peut se travailler et se malaxer, mais il faut une ligne directrice claire et ne pas y dévier. Surtout, il faut viser le long terme, cette image se fabrique sur plusieurs années.
Pour établir cette “relation”, le dialogue doit être simple, vrai, sincère, sans peur, sans besoin de dominer. Surtout sans besoin de dominer.
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Sacerdoce de moine soldat
Il y a quelques années, j’ai lu un billet de blog d’Abiker (aujourd’hui disparu mais dont j’ai retrouvé une copie incomplète me semble-t-il), le sociologue français qui comparait les community managers à des martyrs parce que leur mission est quasi impossible, car au centre névralgique de tensions tirant dans des sens opposés:
A l’approche du baccalauréat et des choix d’orientation, un ami tombe de sa chaise. Son fils qui voulait devenir prêtre, à la stupeur de sa famille athée, vient de changer d’avis. « Il veut embrasser une carrière de Community Manager, tu te rends compte ?! » s’exclame cet ami.
Community Manager un des plus éprouvants métiers du web ! Le manager de communautés est à la fois un agent d’accueil et de renseignement en ligne, il tient le bureau des plaintes numériques, il lutte contre les intox, pratique parfois la désinformation, lance des buzz, accélère le traitement des réclamations des clients et des usagers, il renseigne illico les journalistes et fait copain-copain sur Facebook avec le public. Il est une sorte d’ambassadeur patient, prêt à tout lire avec empathie et mesure. Calinothérapeute pour cyber-casse-bonbons, il est aux internautes ce que Nestor, le majordome, est aux visiteurs de Tintin.
Community Manager est un sacerdoce, un job de moine soldat. Il faut croire dans sa marque, dans l’institution et dans le message que l’on sert. Le père est catastrophé. « Tu comprends ! Il va être exposé aux violences verbales, aux agressions et aux exigences de ces consommateurs ivres de leurs droits ! Tu imagines les servitudes de ce job ? Sans parler des lyncheurs, des obsédés, tous ces tarés qui hantent les réseaux et rédigent leurs messages vénéneux ! Sa mère n’en dort plus ! Je connais un Community Manager qui a craqué, il a twitté Je vous emmerde à sa communauté un soir d’épuisement, le pauvre est en maison de repos ! ».
Il est vrai que dans une société de défiance généralisée, « manager » les fameuses communautés n’est pas une sinécure. Clients remontés, psychopathes du SAV, illuminatis de la ristourne, révisionnistes du rapport qualité prix, complotistes de la traçabilité, écologistes forcenés, délateurs déguisés en lanceurs d’alerte sans oublier les anonymous qui se prennent pour Jean Moulin, les hackers qui s’imaginent être des Robins des bois et les pirates qui pensent réellement œuvrer à l’intérêt général. « Le pire, c’est le militant » soupire le père. « Il a toujours la morale de son côté et chasse en meute. Ils me tueront mon fils ! ».
Il faut en effet une bonne dose d’abnégation pour oser s’aventurer sur internet et y défendre un labo, une banque, un parti et même une association face aux revendications désormais permanentes des clients, des usagers et des citoyens. Autrefois, la majorité était silencieuse, disciplinée et cohabitait avec l’imperfection du monde. Les temps ont changé et c’est désormais au Community Manager qu’elle demande des comptes sur internet.
Le Community Manager a la patience d’un missionnaire, l’écoute d’un confesseur, la douceur d’une bonne sœur et l’âpreté à la tâche d’un bénédictin. C’est le Community Manager qui industrialise la génuflexion et le repentir des organisations devant la fureur numérique, c’est lui qui calme, rassure, temporise. Le Community Manager est en quelque sorte une figure moderne de la pénitence et du pardon. Peut-on parler de nouveau martyr ? Le corps transpercé de flèches en forme de tweets vengeurs ?
Mais c’est aussi lui qui assure la liaison avec les fidèles de la marque, les fans (atiques ?) et bien sûr les clients. Tel un pasteur, il guide le troupeau vers le processus d’achat, d’adhésion ou de soutien online. En cela, son métier consiste aussi à évangéliser le marché et multiplier le nombre des adeptes.
« J’aurais encore préféré qu’il devint prêtre » se lamente le père à qui je tape dans le dos. Je le réconforte comme je peux. Son fils changera peut-être d’avis. Et puis Community Manager ce n’est pas pianiste dans un bordel.
Le trait est un peu forcé et incomplet. Sont complètement mis à l’écart les attentes internes de résultats, de sa propre hiérarchie et des services, parfois contradictoires. Tout community manager a été au moins une fois dans sa carrière contraint de faire un post dont il savait très bien qu’il ferait un bide, mais qui ne vise qu’à faire plaisir certaines équipes à l’interne persuadées de leur succès. Une promesse leur a été faite, on fait le job de mauvaise grâce et trop souvent, on se retrouve conforté dans notre opinion.
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Social Media Power
Alain Duhammel, le célèbre politologue français évoquait la question des réseaux sociaux sur le plateau de BFM TV la semaine dernière et en parlait comme du 5e pouvoir (les trois premiers étant l’exécutif, le législatif, le judiciaire, et le quatrième, les médias). Je trouve ça assez bien vu, on peut même dire qu’il concurrence les médias, peut-être en contre-pouvoir si l’on considère les récents développements.
En démocratisant les moyens de diffusion de masse, via le streaming notamment, toutes les marques et institutions deviennent des médias. Petit à petit, elles s’organisent comme une rédaction de journal, elles n’en ont juste pas totalement conscience.
Ce pouvoir s’exprime aussi au sein d’une entreprise, comme si le community manager détenait les clés du coffre. Parce que les accès y sont limités, ceux qui sont en charge sont auréolés d’un pouvoir assez abstrait, pouvant provoquer une pression supplémentaire. Dans les faits, le poste est assez peu reconnu au regard de ce qu’implique le métier. Les portes-paroles sont bien mieux payés que les community managers, les rôles sont quant à eux similaires, le support étant toutefois différent.
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Social Media Nightmare
Les réseaux sociaux se distinguent pour leur capacité à rendre viraux des contenus très hétérogènes, mais avec un excès pour les contenus qui choquent selon le mécanisme implacable, “ça choque, donc c’est d’autant plus partagé”. Chaque fois que je me connecte à Twitter, je vois des images d’une violence inouïe comme par exemple celles faisant suite à la mort de George Floyd. La police ratissant certains quartiers résidentiels, des arrestations sans ménagement, etc. Je regarde ces images et me demande parfois dans quel monde de fous on vit.
Dans un autre style, je me rappelle avoir craqué quand je voyais le compte des armées françaises poster des photos de transferts de malades (1, 2, 3, 4) pendant la crise du Coronavirus dans des engins normalement prévus pour faire la guerre.
Les internautes ont tendance à repartager les contenus saisissants “regarde donc ces images, c’est incroyable”, etc. je n’ai pas encore eu le temps de réfléchir au mécanismes de contagion, mais il y a bien évidemment des parallèles à faire avec les épidémies. Après tout, on part de contenu “viral” de la même manière qu’un virus.
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Carnets secrets de la Ve République, Tome IV
J’ai terminé le tome IV des Carnets secrets de la Ve République. Je me suis donc tapé 2000 pages d’histoire politique française, soit l’équivalent de 20 ans de chroniques. J’aimerais d’abord saluer le travail de l’auteure que je trouve incroyable. Il faut de la régularité et de la constance pour tenir sur une aussi longue période, sachant que je n’ai pas lu les deux premiers tomes, eux aussi du même gabarit (40 ans de vie politique en tout). J’en sors avec l’impression que la Ve République n’a cessé de s’affaiblir. De ce point de vue, elle est aujourd’hui d’une incroyable fragilité. Mon intuition me dit que la France y est plus sensible que la Suisse parce que le pouvoir y est très centralisé et très vertical, alors qu’en Suisse, c’est tout le contraire. Pourquoi cela pose problème? Parce que les gens utilisent tous les jours internet. Ils sont donc influencés par cette organisation en réseau. Toute idée d’entité supérieure, au pouvoir vertical, est anti-internet. Les sites sont connectés les uns aux autres de manière horizontale, ils sont sur le papier à égalité de traitement. En d’autres termes, si les internautes ont pris l’habitude de fonctionner en réseau via leur usage quotidien d’internet, ils s’attendent inconsciemment au même fonctionnement dans leur quotidien. Quand ce n’est pas le cas, ça devient insupportable. Le schéma se répète en entreprise. Les systèmes verticaux hiérarchiques deviennent de plus en plus remis en question par les salariés.
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J’ai eu un peu plus de mal à lire ce tome, alors que pourtant, j’ai des meilleures connaissances de la période, ce qui me permettait d’avoir un regard plus affûté sur son travail et surtout, j’ai pu revivre et comparer certains moments clés de l’histoire récente, 11 septembre, 21 avril 2002, échec du référendum européen, etc.
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La fièvre blogueuse
Nouvelle envie intense ces derniers jours. Je voulais re-tenter de me mettre plus sérieusement à faire de la vidéo, pour ajouter cette corde à mon arc. J’arrive à me démerder actuellement, mais ce n’est pas fameux. J’ai donc consulté en long et en large les sites spécialisés pour voir comme je pourrais éventuellement m’équiper. Je soupçonne chez moi un plaisir inconscient à le faire, plaisir qui retombe sitôt l’équipement acheté.
Puis, ces derniers jours, l’envie de lancer un blog, un vrai, m’enfin, c’est déjà ce que je fais ici en partie, pourquoi donc me lancer à nouveau ailleurs? Il y a comme un besoin permanent de lancer des choses que je peine à saisir chez moi. Comme si lancer un projet me donnait l’impression de faire quelque chose de ma vie, calmait un sentiment diffus de ne pas savoir où je vais.
Toujours est-il que j’approche bientôt de ma première année sur ce site. Les premiers billets que je retrouve datent de juillet 2019, mais j’avais commencé plus tôt en m’inspirant des marches de Craig Mod. Evidemment, je n’avais pas assumé le truc et avait tout envoyé balader pour recommencer à 0. Aujourd’hui, je crois avoir trouvé un angle qui me permet de concilier intérêt personnel et envie de partager selon le tryptique: ecriture, lecture, digital.
C’est pour moi l’occasion de recycler quelques sujets que j’avais réservés pour mon livre que j’ai aujourd’hui abandonné. Oui, après deux ans de travail, j’ai jeté l’éponge.
Je crois qu’on ne réfléchit (devrais-je dire pense?) pas suffisamment le digital, qu’on l’utilise mais que nous oublions de prendre du recul. Tous ces appareils et ces sites, nous les avons adoptés comme s’il s’agissait d’une évidence, il n’y a jamais eu de débat public sur le sujet, à la manière d’une nouvelle loi ou d’un référendum. Et pourtant, ces nouveautés changent nos vies radicalement. J’avais donc écrit là autour, 200 pages quand même, très personnelles, trop sans doute, et une fois de plus, je n’ose pas aller à l’étape suivante, celle de l’éditeur. Cette fois-ci, il y avait quand même un travail encore important d’éditing.
C’est la seconde fois, gageons que pour la prochaine, j’irai jusqu’au bout.
Love,
-E