#50 - Gentrification du web
L’email est l’une des plus anciennes technologies du web, mais aussi l’une des plus résilientes. Nous l’utilisons toujours abondamment, en particulier au travail. Parfois, j’ai même l’impression que mon job consiste à 90% à gérer des mails mais bon passons.
Je me rappelle encore de ce film de romance avec Tom Hanks et Meg Ryan (Vous avez un mess@ge - 1998) décrivant les tous débuts de la drague en ligne. Comment oublier également cette scène dans Mission Impossible où Tom Cruise échange avec Job par email (1996). Comment oublier Caramail… Hotmail…? Les outils changent mais la technologie demeure.
Au tournant des années 2000, le Web 2.0 est arrivé avec plein de promesses, notamment celle de faciliter la contribution en ligne. Plus besoin de savoir coder pour avoir son propre site, les blogs ont démocratisé la publication en ligne. Sont venus ensuite les réseaux sociaux qui la facilitèrent encore davantage et apportèrent également une touche sociale qui manquait cruellement.
Suite logique à ce mouvement, nous nous sommes vite retrouvés inondés de contenus qu’il a bien fallu prioriser d’une manière ou d’une autre. On estime qu’à chaque fois que l’on se connecte à Facebook, jusqu’à 1500 contenus se concurrencent pour s’afficher en haut de votre flux. Comment choisir le premier, sur quelle base, via quelle technologie? C’est ainsi que les algorithmes entrèrent en jeu (solution qu’on retrouve ailleurs, Twitter, Instagram, etc.). Ils décident ce que vous verrez en premier, sur la base d’une multitude de signaux que vous renseignez au fur et à mesure que vous utilisez la plateforme. Bien sûr la recette de ces algorithmes est jalousement gardée secrète, à la manière de Coca Cola ou de Nutella, car plus ils sont performants, plus ils vous feront revenir (et donc élimineront la concurrence).
En parallèle, les emails ont été délaissés pour être cantonnés à du professionnel ou de l’administratif. C’est devenu boring à souhait, voire carrément has been. Il faut dire que les réseaux sociaux nous ont fait des promesses abracadabrantesques: nous servir l’information pertinente au bon moment. Vaste projet mais sans doute utopique.
Et alors que les emails ont été ringardisés, ils reviennent en force en particulier les newsletters. En voici les principales raisons:
Chaque email envoyé est reçu par son destinataire. Il nous appartient après de les lire (ou pas). Sur les réseaux (en particulier Twitter) plus 90% de ce que publient nos abonnements nous échappent parce que nous ne sommes pas connectés au même moment. Sur Facebook et instagram, la proportion est sans doute plus faible mais tout aussi importante.
Aucun tri n’est effectué (attention à GMAIL toutefois avec ses onglets), ils sont classés du plus récent au plus ancien, les messages non-lus en premier. Classement simple à comprendre et transparent.
Aucune pub ne vient polluer notre boîte (sauf sur GMAIL).
Chaque email reçu devient notre propriété. Ils nous appartiennent, nous pouvons en faire ce que nous voulons. L’archiver, le classer, le supprimer, etc. J’ai encore dans ma boîte des échanges d’il y a plus de 10 ans. C’est moins évident sur les réseaux sociaux.
De là à dire que les réseaux sociaux sont condamnés, il y a un pas que je ne franchirai pas. L’histoire répond souvent à des mouvements de balanciers. Ce qui cool un jour, devient ringard demain, puis cool à nouveau.
Il y a toutefois un principe hérité du monde réel que j’observe également sur le web. Les coins sympas, à force d’être connus par le bouche à oreille, amène un public nouveau, l’esprit des débuts se perd et les premiers habitués quittent les lieux. J’avais observé ce principe quand j’allais à CinéTransat. J’y suis allé les toutes premières années avec un immense plaisir. Puis, au fur et à mesure que le mot est passé, un nouveau public plus large est venu également. Les projections étaient toujours excellentes, mais il y avait trop de monde et les tous premiers fans sentirent le changement. Il en va de même avec certains quartiers, etc.
Le principe est rigoureusement identique sur les réseaux sociaux. Les premières années sur twitter étaient excellentes. Puis, un nouveau public est arrivé, les us et coutumes changent, malheureusement pas toujours comme on l’aimerait, et alors on se détourne de la plateforme. Parfois, il ne s’agit que d’une question de nombre. Quand un internaute s’inscrit à une newsletter, il accueille chaque numéro avec curiosité. Quand il est abonné à 100 newsletters, il n’en lira plus que quelques unes (l’idée d’une boîte mail pleine ne ravit personne…). Si les newsletters deviennent de plus en plus populaires, alors le problème se renforcera.
Alors on se détournera des emails et nous découvrirons à nouveau les blogs. Et quand nous en aurons marre des blogs, nous redécouvrirons les réseaux sociaux. Vous comprenez le cycle, It’s the Ciiiiiircle of life…!
Il faudrait alors garder un coin qu’on aime bien aussi intimiste que possible, mais est-ce possible? Est-ce que l’intimité est compatible avec le web où l’on montre tout de nos vies?
Love,
-E