#94 - Civilisation de l'image IV
2 trillions d’images seraient échangées chaque année sur le digital selon un billet de Benedict Evans (généralement bien informé). Peut-être le double, peut-être même beaucoup plus.
20 ans plus tôt, à la grande époque de Kodak, ce chiffre atteignait les 80 milliards.
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Mes débuts en photo riment avec frustration. Frustration parce qu’il fallait faire attention; le développement des images coûtait une blinde. Je me rappelle d’un voyage au Kenya (1991) lors duquel j’avais été contraint de prendre des photos avec un petit Kodak jetable tandis que mes cousins, certes plus vieux, mitraillaient avec leur réflex Canon. Pour la défense de mes parents, je n’avais que 8 ans…
Ce n’est qu’en 2007, à l’occasion d’un autre voyage au Canada que je m’y suis mis plus sérieusement. J’avais acheté un Canon EOS 350D dont j’étais très fier et avec lequel j’ai fait quelques photos qui, il faut bien le dire ne cassaient pas des briques, mais constituaient les premiers souvenirs photos que j’ai, ma bibliothèque de photos commençant précisément cette année là.
Quelques années plus tard, en 2012, je me décide à acheter un Canon EOS 7D (un appareil considéré comme semi professionnel). Je voyais bien que les gens prenaient de plus en plus de belles photos et je m’étais dit qu’il fallait que j’upgrade mon game… ce qui constituait un habile argument en faveur de l’achat dudit appareil. La qualité fut certes meilleure, mais je ne garde pas un excellent souvenir de cet appareil, non seulement parce que la qualité de ma production n’étais pas sensiblement meilleure, mais aussi parce que le poids de l’objet avait gâché l’expérience. Il fallait se le coltiner.
Ce n’est qu’avec Fujifilm et grâce à quelques tutos Youtube que j’ai fait un saut qualitatif. Le poids réduit et la qualité des optiques Fuji m’ont remis le pied à l’étrier. Mais pas pour longtemps.
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Mes disques durs externes contiennent aujourd’hui près de 2To de photos. J’ai conservé tous les négatifs, sans faire de tri, pensant à tort qu’une photo pourrait être utile à posteriori. Funeste erreur, je me replonge rarement dans cette bibliothèque. Beaucoup moins que mon compte Instagram en tout cas.
Le fait est qu’en 15 ans, à ma petite échelle, la production d’images a explosé. Bien conscient que je ne m’y replonge plus aussi souvent, j’ai un peu lâché l’affaire car ça demande un boulot de dingue: stocker, backuper, trier, etc. Pour au final, rarement les regarder à nouveau.
Je suppose que nous regardions un album papier avec plaisir parce que les photos étaient précieuses dans le sens, nous n’en regardions pas jour et nuit. C’était spécial.
A contrario, lire un article de presse du début à la fin est devenu aujourd’hui l’expérience spéciale, parce que trop d’images tuent l’image.
Alors, nous ne saurons jamais si 2 trillions d’images annuelles constitue le chiffre exact, mais une chose est sûre: la photo est devenu un nouveau langage et sans doute même le langage privilégié du digital.
Relire mes précédents billets sur le sujet:
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Screenshots are the PDFs of the smartphone.
in: Stepping out of the firehose (un essai sur notre incapacité à lire tous les contenus qui nous sont adressés, emails, DMs, etc.)
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Res novae
On baigne dans un environnement qui nous pousse à la nouveauté et cette logique infuse nos comportements quotidiens comme le souligne un article du Guardian traitant de l’institution du mariage:
On observe aussi ce phénomène en politique. En France, on lui a donné un nom: le dégagisme. Il faut être neuf. Macron il y a cinq, Zemmour aujourd’hui…
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De mes lointains cours de latin au collège, je me rappelle très bien des enseignements (les rares qui me restent…) de Mme Castioni, ma prof de latin. Les Romains étaient des conservateurs acharnés et tout ce qui était nouveau était considéré comme louche.
La nouveauté, c’est les sables mouvants. A peine a-t-on stabilisé son assise qu’on s’enfonce et devons catch up sur les nouveautés… Il n’y a jamais de stabilité, plus aucune certitude, car tout est en permanence remis en question.
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Revenge Bedtime Procrastination
L’une de mes journalistes préférées s’est fendue d’un nouveau billet qui capture si bien notre réalité:
Here is a potentially familiar scene. You are exhausted after working a full day, the sort of day when you felt like your attention was drawn in 20 different directions, where you were ricocheting between obligations and meetings and running six minutes late to pick-up and realizing that if you didn’t put that load of laundry in the wash now, at 9 pm, the rest of the week could very well collapse in on itself. You answered emails while stirring something on the stove. You answered different emails while half-listening to a story from a family member or roommate. You might have squeezed in some time for exercise, but you spent most of that time thinking about work: either periodically checking your phone or making mental to-do lists. You put your kids to bed, you let the dog outside, you turn off the lights, you’re ready for a much needed good night’s sleep — but then you can’t put yourself to bed.
You stay up binging a mediocre show. You can’t stop scrolling Instagram or Twitter or a dating app. You’re reading some overly-detailed breakdown of a sporting event, past or present or upcoming. You’re playing whatever dumb game you play on your phone. You’re trying to figure out who was invited to Ally Love’s wedding. Or you’re actually doing something you really like: reading for hours, playing a video game you actually enjoy, quilting in the quiet hours of the night, leafing through a new cookbook. It matters less what you’re doing and more that you’re doing it instead of what you’d planned to do: go to bed so as to sleep long enough to feel legitimately rested before you go through it all again. You’re revenge bedtime procrastinating.
That term originated in China, where it’s known as 報復性熬夜, and can alternately be translated as “retaliatory staying up late.” The BBC’s Lu-Hai Liang wrote an excellent article tracing how the term spread in China, partially sparked by a viral tweet by journalist Daphne K. Lee.
Je plaide guilty évidemment… il y a quelques années, je ne faisais pas attention, mais le désagrément de venir au boulot déchiré était devenu plus pesant que le plaisir de trainer en ligne… surtout que ces désagréments se répercutent dans notre vie dans son ensemble, notre rapport aux autres, notre capacité à mener des projets personnels, etc.
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L’âge du capitalisme de surveillance
Je me suis lancé dans la lecture de ce classique, un pavé de 843 pages dont je lis 10 à 15 pages chaque midi après mon lunch. Régulièrement cité par la presse et les spécialistes, je me suis dit qu’il fallait peut-être m’y attarder.
Et déjà quelques infos intéressantes:
Apple a su saisir un changement de comportement chez le consommateur qui veut désormais consommer à sa manière, ce qu’il veut, quand il veut et où il veut. En proposant iTunes, Apple nous a permis de personnaliser nos playlists, d’écouter de la musique où et quand on le souhaitait, mais surtout, ce qu’on souhaitait. Nous étions auparavant contraints avec des albums de 15-20 morceaux, qui nous coûtaient la peau des fesses et dont une seule chanson nous plaisait, sans possibilité de les remixer en playlists. Cette personnalisation fut un bouleversement majeur et je ne peux m’empêcher de penser que cette logique s’applique ailleurs, notamment en politique. Comment adhérer à l’ensemble d’un programme? ça me semble impossible et le référendum paraît de plus en plus comme la solution à ce problème. Ainsi, si l’on considère mon intérêt pour la cryptomonnaies, je devrais être un capitaliste spéculateur faisant de moi qqn de droite libérale. En revanche, si l’on considère mon adhésion à Pro Vélo, cela ferait de moi un écolo. Et si enfin, l’on considère mon aversion pour le langage épicène, on me prendrait pour un conservateur. Tout ça pour dire que la classification standard en droite gauche n’est plus pertinente. Au moins, avons-nous en Suisse un système qui répond bien à ce phénomène.
Google est pionnière en termes de capitalisme de surveillance, mais ce n’était pas nécessairement ce qu’ils voulaient faire. L’auteure explique qu’après la bulle de 2001, les investisseurs furent échaudés et demandaient des garanties avant d’investir, où en d’autres termes, il fallait promettre des modèles d’affaires qui leur permettaient d’esquisser un retour sur investissements et si possible, des modèles solides. On l’oublie peut-être aujourd’hui, mais Google ne générait pas d’argent avant l’arrivé des publicités, et c’est parce que les investisseurs ont mis la pression que Google a été contrainte de le faire. C’est alors que la firme s’est rendue compte que chaque utilisateur générait un surplus comportemental. Ou une quantité effarante de données liées à leurs usages du moteur de recherche. Ces données ont permis d’améliorer le moteur de recherche dans un processus itératif ou, pour le dire autrement, plus les internautes utilisent le système, plus il s’améliore et plus il consolide sa position de leader.
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Algo Youtube
Big up à cette nerd qui a fait des recherches de dingue pour nailer l’algo Youtube (et aussi pour le style de la vidéo en mode enquête)
TL;DW - les recommandations Youtube sont les plus grandes pourvoyeuses de vues. C’est généralement dans les premières 24h que se décident si votre vidéo sera largement diffusée ou pas dans ces recommandations via le taux de clics notamment. Fin d’ailleurs intéressante où des algorithmes alternatifs proposent des recommandations différentes de celles proposées par les grands noms, brisant ainsi un monopole (ça peut paraître vain, mais il fallait y penser).
On observe également les mêmes mécanismes pour les autres réseaux, en particulier Facebook et Instagram: les premières heures sont déterminantes pour le succès d’un post.
Au-delà de ces considérations, cette vidéo m’a permis de constater que Youtube était devenu ma porte d’entrée sur le web. Alors qu’à l’époque, je me connectais dans un automatisme écervelé à Facebook, ce comportement a évolué au profit de Youtube. On a longtemps considéré Youtube comme un hébergeur de vidéos sans trop savoir qu’en faire, mais le système d’abonnement couplé aux algorithmes en ont fait un redoutable réseau social. Il n’y a plus un jour où je ne regarde pas quelles sont les vidéos qui me sont proposées. C’est aussi une formule intéressante de “podcast vidéos” puisque de plus en plus de chaines télé mettent en ligne leurs émissions ce qui nous permet de les revoir en replay.
Et je sais que je ne suis pas le seul, les plus jeunes font tous cela.
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Wrapping up
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Love ❤️,
-E