#199 - Le Grand Schisme II
Najat Vallaud-Belkacem nous a gratifié d’une sortie complètement hors sol. En voulant limiter la navigation à 3Go par semaine et en invitant les jeunes à apprendre à coder sur papier (!!!), elle a sans grande surprise été la risée du web. A juste titre, mais ce serait une erreur d’analyser ces propositions sur ce seul prisme. En réalité, elle se positionne politiquement sur l’échiquier national parce qu’elle a compris que la question numérique va devenir centrale.
Comme je l’ai dit il y a un an, on se dirige vers un schisme entre deux visions de l’avenir. Celle des hardliners - les dogmatiques - venue tout droit de la Silicon Valley qui nous disent qu’il faut qu’on porte des casques de réalité virtuelle et qu’on utilise l’IA, et celle des sceptiques, qui remettent en question cette vision et qui disent vous êtes bien gentils, mais ça va aller comme ça.
En d’autres termes, on revit le schisme entre catholiques et protestants, avec d’un côté le dogme de l’église (ici la Silicon Valley) et la relecture des Ecrits - ou Réforme - (ici un groupe de plus en plus sceptique avec la vision de la Silicon Valley).
Je fais bien sûr partie de ce second groupe. Si j’ai longtemps soutenu la transition numérique, nous devons avoir un recul critique sur tous ces développements. Je ne doute pas que ce casque d’Apple est révolutionnaire, mais il nous coupe encore plus du réel. Je ne doute pas non plus des capacités de ChatGPT, mais en outsourcant le travail, je perds des capacités entretenues depuis des années en devenant dépendant d’un outil. Donc, oui au numérique, mais avec un recul critique.
Cette question du numérique pose par ailleurs un problème de santé publique. Je ne suis pas d’accord avec le journaliste du Temps qui résume la chose ainsi:
On peut vivement le regretter, mais pour l’heure, c’est un fait: ni l’Etat (à part peut-être avec des campagnes de prévention) ni les réseaux sociaux ne peuvent ou ne veulent agir efficacement. C’est aux parents de tenter de guider leurs enfants en ligne. La responsabilité individuelle est immense. Mais aucun autre acteur ne peut aujourd’hui se substituer à eux pour accomplir cette tâche.
D’abord ce n’est pas un problème qui ne concerne que les ados, mais l’ensemble de la société. Ensuite, quand la clope a posé problème, on a trouvé des moyens pour faire baisser la consommation. Pareil avec l’alcool. Via l’arrêt des publicités, via des messages de préventions sur les paquets de cigarette, via l’interdiction de fumer en tout lieu, etc. Je ne dis pas que c’est ce qu’il faut faire, ni qu’il faille absolument légiférer, mais sous-estimer le problème de la surconnexion nous reviendra en boomerang big time! Là, on est en train de dire “ah votre enfant fume…. mais c’est pas le problème de l’Etat… c’est celui des parents!”. On se rend vite compte que ça va ne pas suffire.
Et à mon avis le problème est déjà immense avec une jeunesse en souffrance (explosion de l’anxiété), des retards dans le langage, bref… rien de joyeux.
Pour conclure donc, si j’étais politicien aujourd’hui, je serais extrêmement prudent quant à la promotion du numérique à tout va et en ce sens, Najat Vallaud-Belkacem a du nez.
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Wrapping up
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-E